
On parle du continent africain comme la dernière frontière de la croissance, on parle de crise économique en Afrique, d’économie par terre à cause d’absence de marché pour les produits manufacturés. Certes, le « grand capital » du Nord continue à puiser dans nos matières premières, les transforme et nous les ramène sous d’autres formes. Mais il n’y a pas de débouchés pour le pagne de Dakar car on le fabrique en Hollande, au pays des tulipes. Pas de clients pour le jus de mangue made in Cameroun car en Europe, on boit du Joker et du vin à base du raisin. On est tous d’accord. Il faut que les choses changent. Mais en attendant, entre nous Africains on pourrait être nous-mêmes un méga marché pour nos propres produits tout au moins ?
Etat des lieux du consommons local africain
En Afrique la concurrence entre produits locaux et produits importés va crescendo. Aujourd’hui, 20% de notre consommation alimentaire est importée, représentant selon les années, 30 à 50 milliards de dollars par an pour l’Afrique Sub-saharienne. En effet, les habitudes alimentaires ont connu un drastique changement ces dernières années avec à la clé une forte consommation des produits venus de l’étranger. Dans les restaurants comme dans les ménages, les mets européens sont souvent les plus préférés. Les made in Thaïlande, China, Indonésie, Japon, USA…la liste est longue, sont à la mode et promus. Si tu n’as pas de ces genres d’habitudes, tu n’es pas dans ‘’le mouvement.’’ Dans les habitudes culinaires, ce sont les hamburgers, les pizzas, les chawarmas, les hors d’œuvres, les champagnes…qui sont invités dans les plats au détriment du akounmè, du attiéké, du foufou, du ndole, du yassa, du mafé, du soya, du doro, du thiébou dieune, du vin de palme, bref de tous les mets africains.
Le phénomène écœure encore plus quand les politiques consacrent des jours pour inciter à la consommation locale. Mais tout de suite le jour suivant, c’est l’acte contraire qui est posé. En effet, quand on prend les cantines scolaires, le riz utilisé pour ces programmes est importé, ce qui logiquement est contraire aux valeurs qu’on prône. Et surtout quand on sait que ce sont des milliards de FCFA qui sont injectés dans ces programmes au profit des apprenants, il y a de quoi interroger les politiques dans un contexte de promotion du consommons local.
Par ailleurs, la consommation locale ne concerne pas uniquement les habitudes alimentaires. Le mode vestimentaire des uns et des autres en Afrique a également connu une évolution dans le temps. Un tour dans les administrations les jours ouvrables et vous vous rendez compte de l’évidence. Du plus grand décisionnaire au plus petit des employés, presque tout le monde est en costume. Dans les églises pour les cérémonies nuptiales, c’est le même accoutrement. L’un en costume bien sapé avec cravate et l’autre dans une robe souvent blanche toute cousue depuis l’étranger. Toute chose qui profite à l’industrie textile européenne. Invitons-nous à présent dans les cérémonies de dot. Ici, ce sont les pagnes vlisco, les super hollandais qui sont à la page alors que le kanvô du Bénin, les bazins riches du Mali, du Nigéria, du Sénégal, le bogolan du Mali…sont là et n’attendent qu’à être acheté pour apporter une plus-value au continent. En dehors de quelques pays qui font l’exception en adoptant un mode vestimentaire typiquement africain c’est le « made in ailleurs » qui prévaut dans presque tous les systèmes.
En outre, avez-vous remarqué dans les salons les meubles importés de la France hier et de Dubaï aujourd’hui plutôt qu’un salon en osier tressé par des artisans du cuire en Afrique ? Alors que les artisans africains cherchent désespérément des clients pour leurs œuvres. Bref l’incitation à la consommation locale est dans tous les secteurs. Le monde étant en perpétuelle mutation, les comportements des uns et des autres aussi s’adaptent aux différents mouvements du temps. Mais notre identité reste notre apanage et il ne tient qu’à nous de la valoriser malgré les tendances.
Le refrain qualité-prix-accessibilité des produits locaux

L’autre épine qui freine l’élan du consommons local africain c’est un ensemble de critères auxquels difficilement les producteurs arrivent à répondre. D’abord c’est la qualité des produits locaux. En effet, beaucoup de consommateurs restent toujours sceptiques quant à la qualité des produits que les entreprises locales proposent sur le marché. D’où un premier niveau de réticence. Cependant, connaissons-nous réellement la qualité de tout ce qui nous vient de l’étranger ? Surtout les produits alimentaires ? N’est-ce pas les « only for dogs » qui nous sont envoyés pour servir de mets aux étudiants dans les cantines universitaires ?
Le deuxième critère est celui du prix des produits locaux. Les plaintes se résument souvent à la cherté de ces produits pourtant fabriqués chez nous ou non loin de chez nous. Peut-être que cela se justifie par le fait que ce sont pour la plupart du temps, des entreprises qui ne font pas encore un chiffre d’affaire colossal. Du coup, toutes les charges sont à prélever sur les produits vendus.
L’accessibilité des produits reste aussi un critère que les entrepreneurs doivent prendre en compte dans la satisfaction de la clientèle. Produire mais en quelle quantité ? Puisque la production, la transformation est très peu développée, les acteurs ont souvent du mal à satisfaire les demandes sur le marché. Ou encore, les produits existent mais la politique qui doit accompagner pour les rendre disponibles dans tous les coins de la région n’y est pas encore. Il se pose alors un problème d’accessibilité, de disponibilité de ces produits auprès des consommateurs. Ce qui incite ces derniers à se tourner vers les importations.
A qui la faute ?

La responsabilité de cette situation est à trois niveaux : d’abord aux producteurs (agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, artisans, agropasteurs…) qui doivent renforcer leurs efforts pour proposer aux consommateurs, des produits locaux correspondant à leurs besoins et à leurs demandes. Aussi faut-il qu’ils fassent l’effort d’inverser le discrédit entretenu contre les produits locaux et faire valoir au contraire leur caractère identitaire. Bien sûr, il faut que ces produits soient accessibles, de qualité, et correspondent aux besoins des consommateurs.
Le deuxième niveau de responsabilité concerne les consommateurs ; leur rôle est essentiel. Selon leur choix, le consommons local deviendra le moteur central du développement économique, social et culturel en Afrique. Dans le cas contraire, s’ils privilégient les produits importés, ils enfoncent le continent dans l’endettement, dans la dépendance et dans la marginalisation de la grande majorité des acteurs économiques. Le choix qu’ils feront dépendra de besoins objectifs qu’il appartient aux producteurs de satisfaire : prix-qualité-présentation des produits.
Enfin les politiques doivent appuyer toutes les dynamiques qui permettent de faire du consommons local africain, un moteur central du développement économique, social et culturel du continent.
Quelles perspectives ?
Les africains devraient être les premiers ambassadeurs des produits made in Africa en les consommant sans arrêt et en les mettant à la mode. D’abord à leur table, ensuite sur leur corps et tout le reste. Sans oublier qu’il faut parfois même en arriver au formatage de la mentalité africaine. Ils sont pour la plupart du temps dans la logique de « tout ce qui vient de l’extérieur est meilleur ».
Pourtant, contrairement à ce que l’on croit, il existe beaucoup de produits transformés en Afrique moins chers et de bonne qualité qui devraient au minimum séduire la consommation locale. Cela donnerait un coup de pouce à l’économie régionale, aux PME et PMI. Et accessoirement, le panier de la ménagère aurait un coût allégé. Le consommons local du continent doit être un mouvement patriotique, porté par tous les africains. Le made in Africa doit s’implanter dans nos habitudes quotidiennes. Puisqu’il n’y a pas de marchés pour nos produits dans les pays du nord, nous devons nous mêmes arriver à les consommer entre nous. Cela participera à booster l’économie de notre continent. C’est aussi un problème d’identité culturelle et d’affirmation de soi qui sera résolu. Surtout, quand on est fier de son sceau national ou régional, c’est la bonne attitude pour convaincre les autres. C’est un défi à l’échelle régionale et c’est aux producteurs, consommateurs et responsables politiques de le relever.
Eliane Fatchina