Dr. Lassane Ouedraogo
Research Fellow, CDD West Africa
@Lassaneo
Le 25 février, les Nigérians se rendent aux urnes pour élire le successeur du Président Muhammadu Buhari. Après deux mandats consécutifs à la tête du pays depuis 2015, Buhari laisse derrière un bilan mitigé par une économie qui vacille sous le poids de l’inflation mais aussi un niveau endémique d’insécurité à travers le pays.
A quelques trois semaines du scrutin, le niveau d’insécurité devient de plus en plus préoccupant. Il y a une forte crainte que le processus électoral ne connaisse des perturbations majeures dans certaines régions, à même de compromettre l’issue des élections.
La résurgence de plusieurs groupes terroristes
Outre le groupe terroriste Boka Haram qui sévit dans le Nord-est, il existe d’autres groupes bandits notoires qui écument des Etats comme Zamfara, Kaduna, Katsina, et Sokoto dans le Nord-ouest. Ces milices armées sont pour la plupart nées des conflits ethniques entre éleveurs Peul et agriculteurs Haoussa. Au Sud-est, c’est IPOB, le groupe sécessionniste Igbo qui semble refaire surface pour perpétuer les menaces. IPOB et ses nombreuses factions revendiquent la libération de leur chef Nnamdi Kanu mis à l’arrêt depuis 2015. Malgré le fait qu’en 2021, un tribunal fédéral a jugé Nnamdi Kanu et ordonné sa libération, il est toujours gardé en détention.
Jusque-là, ces groupes procédaient à des enlèvements et terrorisaient les populations. Mais récemment les attaques contre les bureaux de la commission électorale indépendante surtout dans le Sud-est connaissent une recrudescence. Plus récemment, 4 personnes ont perdu la vie dans une attaque le 12 décembre dans les locaux de la commission électorale indépendante à Owera dans l’État d’Imo. L’institution rapporte ainsi qu’entre 2019 et 2022, elle a subi au moins une cinquantaine d’attaques ciblant ses locaux dans divers Etats. Dans les États d’Anambra, Enugu, Abia, Ebonyi, et Imo, il ne se passe pratiquement pas un jour sans que les médias ne rapportent un incident d’enlèvement ou d’assassinat par des bandits. Selon le projet ACLED qui surveille les incidents de violence à travers le pays, pendant les 21 premiers jours de 2023 seulement, il y a eu 3897 incidents qui ont conduit à 10647 pertes en vies humaines.
Un principe de zonage qui divise
Les clivages ethniques, religieux et régionaux, faut-il le notifier, nourrissent davantage ce climat délétère. Tout au long de la campagne électorale, les Nigérians ont en effet eu l’occasion d’entendre les dix-huit (18) partis, leurs candidats, surtout les 4 candidats à la tête du peloton. Cependant ce qui a souvent alimenté les débats sur les médias ce sont les origines et affiliations des candidats plus que leurs programmes de société.
Ainsi, le candidat du parti au pouvoir, APC, Ahmed Bola Tinubu est Musulman et Yorouba du Sud-Ouest. Cet ancien gouverneur de Lagos et business tycoon bénéficie d’un push que le pouvoir doit revenir au Sud. Il est l’un des pères fondateurs du parti APC. Néanmoins, les Chrétiens rebuquent son choix de Kashim Shettima, un Musulman de l’état de Borno State comme colistier contre une tradition électorale qui voudrait que les candidats Musulmans choisissent un vice-président chrétien et vice-versa.
Rabiu Kwankwaso du NNPP est aussi du Nord. Ancien ministre de la Défense sous Olusegun Obasanjo l’un des États les plus politiques. Il était sénateur de l’État de Kano sous la bannière de l’APC. Son vice est un Chrétien de l’État d’Edo.
Atiku Abubacar du PDP est Musulman du Nord-Est. Ancien vice-président de Olusegun Obasanjo, il en est à sa cinquième candidature pour briguer la magistrature suprême. Tout comme le président sortant, il est de l’ethnie Peul et a choisi Ifeanyi Okowa, un Chrétien et gouverneur du Delta, un État riche du Sud comme colistier. Cependant les gens du Sud voient en ce dernier un traître, car il pourrait aider à envoyer le pouvoir au Nord.
Par ailleurs, Peter Obi, du parti travailliste qui se veut être le parti d’avant-garde pour la classe ouvrière et les masses pauvres, rencontre beaucoup de sympathie parmi les couches jeunes, éduquées, et urbaines du Nigeria. A 61 ans, l’ancien gouverneur de l’État d’Anambra, a déserté le parti d’opposition PDP pour rejoindre le parti travailliste et devenir son candidat. Peter Obi est Igbo, Chrétien et du Sud-Est. Il faut dire que les Igbo se sentent marginalisés dans la politique fédérale et estiment qu’il est temps qu’un des leurs prenne les rênes du pouvoir.
L’implication des medias sociaux
Cette violence est aussi discursive surtout sur les réseaux sociaux. Le nombre d’utilisateurs actifs des médias sociaux au Nigéria est en effet passé de 27 millions en 2019 à 36 millions en 2023. Dans un tel contexte, la désinformation sur les réseaux sociaux prend une dimension inquiétante avec des capacités.
Les parties politiques ont même leurs bataillons sur les réseaux sociaux. Atiku Abubacar d PDP bénéficie de la « Atikulated Youth Force » et le « Buhari Media Center » existe depuis les élections de 2019. Une partie des cybers warriors (guerriers du clavier) du Buhari Media se sont rallié au « BATified » de Bola Ahmed Tinubu. Tous ces groupes sont supplantés par les Obidients de Peter Obi. Bien que ces groupes nourrissent le débat politique en ligne, on note un regain de sophistication et d’organisation dans la poussée de la désinformation sur les réseaux sociaux. Des efforts généralement axés sur la glorification ou la délégitimation des candidats politiques et la sape de la crédibilité de la Commission électorale nationale indépendante (INEC) enflamme davantage le climat pré-électoral.
Au-delà de la violence qui nourrit l’incertitude quant à la tenue effective des élections, il faut cependant noter qu’il n’y a vraiment pas de crainte de menaces externes dans ces élections. Par ailleurs, l’introduction de la technologie dans le système de vote semble renforcée la confiance des Nigérians vis-à-vis du système électoral. Le problème majeur c’est alors l’insécurité.
Aussi, l’éventuel vainqueur de ce scrutin aura la lourde responsabilité de redonner confiance aux Nigérians vis-à-vis des institutions, et de rassembler un pays dont la fracture socio-économique est visiblement ouverte.