Les scarifications en Afrique noire ont été et demeurent de véritables marques d’identité culturelle. Juste à la vue de ces signes sur le visage ou sur le corps d’un individu, l’on pouvait identifier le groupe socioculturel auquel il appartient et même sa région de provenance. Aujourd’hui entre fierté et mépris, ces marques de l’identité africaine s’éteignent à petits coups.
En Afrique, une incision superficielle de la peau est pratiquée dans certains groupes ethniques de manière à laisser une cicatrice. Appelée scarification, cette incision est appliquée sur les joues, les tempes, le front ou encore sur le corps afin de marquer l’appartenance à une lignée, à un clan ou encore à une société donnée.
Portée identitaire des scarifications
« C’est une marque qui identifie mon appartenance à un groupe social. Quand on me voit, sans parler, on sait directement que j’appartiens à un tel groupe ethnique » a affirmé Adolph Hagbè, porteur de quelques scarifications au visage. Dans les temps anciens, les scarifications ont permis dans un premier temps d’identifier les membres de son clan notamment lors des guerres. Bien plus, selon l’histoire, la scarification avait émergé au moment de la construction des royaumes et lors des grandes conquêtes. Les rois d’Afrique, menant des combats territoriaux importants, ont commencé à scarifier les membres de leurs familles et de leur royaume afin de faire la part des choses entre ennemis et alliés.
En effet, ces marques portent de nombreuses significations : adepte de divinité, symbole de franchissement d’une étape de la vie, appartenance à un clan etc… Typiquement, elles se présentent comme une carte d’identité pour certaines familles dans la société. Roger Bossou en témoigne « j’étais parti à un enterrement et une dame a vu les traits que je porte au visage. Directement, elle m’a appelé par le patronyme de notre collectivité et a commencé par déclamer mon panégyrique… j’étais ému, j’avais la chair de poule… »
Un cordon spirituel qui relie les descendants aux ancêtres
Selon le socio-anthropologue Dénis Hodonou rencontré au Laboratoire d’Analyse et de Recherche, Religions, Espaces et Développement (LARRED) à l’Université d’Abomey-Calavi, ces cicatrices sont basées sur des déités et des croyances données. « Il faut comprendre que la plupart de ces cicatrices sont liées à une croyance ou à des déités données. Certains clans au Bénin par exemple représentent des scarifications au visage en rapport avec le « dangbé » (python en fon). En d’autres termes, c’est un symbole du dieu que ces derniers adorent. En contrepartie, ils reçoivent la protection de ce dernier. Par ailleurs, on identifie fréquemment certains adeptes de divinités par leurs marques au visage et au corps ». Ceci explique tout le rituel qui s’observe avant, pendant et après la cérémonie de scarification.
Chez certains peuples, les balafres sont pratiquées sur les enfants, dès l’âge de dix ans. Essentiellement pour les garçons, les scarifications interviennent souvent au moment de la circoncision. Iréné Adjovi, père de famille scarifié nous explique le cas de ses enfants. « Très tôt, j’applique ce rite à mes enfants pour leur intégration dans la collectivité. Chez nous, c’est ce qui donne à l’enfant, le droit de porter le patronyme de l’aïeul. Les garçons sont scarifiés à la circoncision tandis que les filles avant leurs premières menstrues ».
Par ailleurs, chez les Bambara, les scarifications sont tracées sur le visage du nourrisson à son huitième jour, au moment où le plus âgés de la famille, après l’avoir observé, prophétise ses principaux traits de caractère et choisit son nom. Ces incisions sont faites car l’ancêtre mythique commun à tous les Bambara nommé kuma tigi, « maître de la parole » portait lui-même des scarifications. Tout en indiquant son appartenance au groupe Bambara, elles confèrent au nouveau-né les qualités morales et corporelles qu’on attend de lui. Il s’agit de la force, de la chance, du courage, de la patience, de la ruse et de la ténacité.
Esthétique et art dans la scarification
Pour le socio-anthropologue, les scarifications sont des marques de beauté. En effet, les Bwaba du Burkina Faso s’accordent sur la beauté du corps des femmes aux torses gravés. Ce consensus autour de la beauté est une manière d’honorer le courage des femmes qui ont su supporter ces scarifications. Dans cette même optique, les Tiv du Nigeria scarifient leur corps pour le rendre plus attirant. Ainsi, l’ornementation par scarification vient rehausser le corps qui doit rayonner, ce qu’ils traduisent par un terme, wanger, signifiant à la fois être beau en produisant de la « clarté ».
Une tradition en voie d’extinction
Face aux impératifs de la modernisation, cette pratique, ancienne et traditionnelle, semble être en voie de disparition. Autrefois, les enfants dépourvus de scarifications ont longtemps fait objet de moquerie dans les écoles, mais aujourd’hui, c’est l’inverse. Cette tradition, témoin de l’identité de certains groupes ethniques, est considérée comme une pratique barbare et rétrograde.
Néanmoins, certaines personnes à l’instar de Adolph Hagbé les portent avec fierté : « c’est pour moi une fierté de porter ces marques. Je n’éprouve aucun sentiment de rejet et mes enfants les porteront eux aussi ».
Malgré tout, dans le cœur des conservateurs, il existe cette volonté de pérenniser cette tradition. De nos jours, la grande partie des dernières balafres sont des personnes de plus de la quarantaine. La modernisation semble avoir raison sur cette tradition ancestrale. Ainsi, entre fierté et embarras, chacun voit cette valeur de manière différente.