
Continent de culture et de tradition par excellence, l’Afrique fait aujourd’hui face à des réalités qui ne sont pas forcément conformes à ses valeurs socio-culturelles. En effet, l’interruption volontaire de grossesse est toujours considérée comme un sujet tabou sous nos cieux. Interdire l’accès à l’avortement reste ainsi la norme sur le continent noir. Par conséquent, c’est une terrible avancée, une révolution que des pays africains en arrivent à légiférer en faveur de l’avortement. Très restrictif donc, voire illégal sur le continent noir, l’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse) demeure presque totalement interdite dans une minorité de pays à travers le monde entier. En votant la loi portant modification et complétant la loi 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction en République du Bénin, le pays vient de franchir la ligne rouge en matière de préservation et de conservation de la vie humaine. Même si la présente loi du Bénin a pour objectif de sécuriser et d’encadrer l’IVG et précise les conditions spécifiques à sa pratique, il faut quand même souligner que cela relève d’une incitation à la culture de la mort. Si nous partons du principe selon lequel la vie commence dès la conception et qu’il faut la protéger, la pratique de l’avortement dans ce cas suppose un crime intentionnellement commis ou encore un acte criminel prémédité, mais légalisé.
Le sens de la vie en Afrique
Dans un contexte africain où la vie est considérée comme le bien le plus précieux sur la terre et que les enfants sont une richesse, une bénédiction des ancêtres, le respect du caractère sacré de la vie surtout celle de l’innocent n’est nullement pris en compte. Le Pape Benoit XVI aborde la question sur un plan non seulement religieux mais sous un angle typiquement africain. « Dans la vision africaine du monde, dit-il, la vie est perçue comme une réalité qui englobe et inclut les ancêtres, les vivants et les enfants à naître, toute la création et tous les êtres : ceux qui parlent et ceux qui sont muets, ceux qui pensent et ceux qui n’ont point de pensée. L’univers visible et invisible y est considéré comme un espace de vie des hommes, mais aussi comme un espace de communion où des générations passées côtoient invisiblement les générations présentes, elles-mêmes mères des générations à venir. » Une analyse qui dénote de la sacralité de la vie humaine dans un milieu africain qui va au-delà de tout ce qui est réel et implique un monde invisible, de la métaphysique. Il ressort donc que pour l’Africain, tout ce qui contribue à l’éclosion de la vie, à sa conservation, sa protection, tout ce qui épanouit ou augmente le potentiel vital de l’individu et de la communauté est bon. Par contre tout acte présumé préjudiciable à la vie des individus ou de la communauté passe pour être mauvais. Lorsqu’on en arrive à ouvrir le champ en légalisant l’IVG, même pour des raisons de ‘’détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale’’, on confère à la femme africaine un pouvoir de décision de la venue ou non d’un être au monde, tout acte considéré comme ‘’méchant’’ en Afrique. Le Bienheureux Pape Jean Paul II renchérit et affirme dans ce même ordre d’idée. « Les Africains respectent la vie qui est conçue et qui naît. Ils apprécient la vie et rejettent l’idée qu’elle puisse être supprimée, même quand de soi-disant civilisations progressistes veulent les conduire dans cette voie. Des pratiques contraires à la vie leur sont toutefois imposées par le biais de systèmes économiques qui ne servent que l’égoïsme des riches. »
Etat des lieux de l’avortement en Afrique

Dans la plupart des pays africains, l’avortement provoqué reste encore légalement interdit par la loi. Le code pénal de la plupart des pays africains prévoit des sanctions assez lourdes pour ceux qui s’adonnent à ce phénomène. Cependant le recours à l’IVG est possible dans la majorité des pays africains quand la grossesse met en danger la vie et la santé de la femme enceinte, lorsque la grossesse est issue d’un viol, ou d’une relation d’incestueuse ou encore lorsque l’enfant à naitre est atteint d’une affection grave. Cette restriction permet de limiter un peu le phénomène du point de vue légal. Toutefois, la pratique des avortements clandestins est devenue une réalité préoccupante en Afrique tant pour les familles que pour les pouvoirs publics. Au Bénin par exemple, un état des lieux réalisé par le gouvernement fait savoir qu’environ 200 femmes décèdent chaque année des suites d’avortements compliqués et non sécurisés. Il en est de même dans presque tous les pays africains. D’où une réorientation de la loi s’impose du point de vue légal. En légalisant l’avortement sous conditions le Bénin à l’instar de la Tunisie, le Cap-Vert, l’Afrique du Sud, le Mozambique, la Zambie forment le cercle fermé des nations africaines ayant reformé leurs lois afin de dépasser les critères juridiques de l’Union Africaine en matière d’avortement sécurisé selon la convention de Maputo ratifiés par 52pays. Par contre, le Congo, le Sénégal, la Sierra-Léone, l’Egypte, la Guinée-Bissau, le Djibouti sont opposés à l’avortement et ont des lois contradictoires à la convention de Maputo.
Quels impacts sur la société africaine ?
Sachant que la procréation est fortement valorisée dans les sociétés africaines, l’avortement qu’il soit clandestin ou légal pose non seulement des problèmes de mortalité et de santé, mais aussi de sérieux problèmes sociaux. Lorsque certains Etats légalisent le phénomène, ils cautionnent ou encouragent la dépravation des mœurs chez les jeunes dans une Afrique qui lutte pour la préservation de ses valeurs. Par contre lorsque certains Etats refusent d’accepter l’évidence d’une sexualité débridée chez les jeunes et prendre des mesures idoines en conséquence, ils réfutent l’idée de s’adapter aux réalités contemporaines et sont peut-être complices des nombreux décès occasionnés par l’avortement clandestin. Dans tous les cas, l’avortement qu’il soit pratiqué dans la clandestinité ou dans les conditions prévues par la loi, reste encore un problème sensible dans les sociétés africaines. L’on peut même se demander si les législations sur l’avortement en Afrique ne sont pas le plus souvent des réminiscences d’un passé colonial ou encore si les peuples africains sont assez mûrs pour faire face à tous les enjeux.
Eliane FATCHINA