Le colloque 10 janvier, et après ? a pris fin ce vendredi 21 janvier à l’amphithéâtre Idriss Deby Itno de l’université d’Abomey-Calavi. L’une des principales activités avant la cérémonie de clôture est la table ronde déchiffrée par le Professeur Arifari-Bako portant sur la problématique des chefferies traditionnelles et de la gouvernance politique au Bénin.
Le Bénin a célébré le 10 janvier, la fête des religions endogènes, quelques jours plus tard, un colloque scientifique international s’est tenu dans la dynamique de repenser le vodùn, patrimoine culturel exclusif du Bénin. Au terme des travaux entrant dans le cadre de ce colloque, une table ronde est organisée autour de la question des chefferies traditionnelles et de la gouvernance. Décryptée par des têtes pensantes comme Nassirou Arifari-Bako (Professeur d’université et Député à l’assemblée nationale du Bénin), Florentin Nangbè (Maitre de Conférence/Cames) et sa Majesté Benon-Mora, elle recentre le débat autour des inquiétudes liées à la législation sur la chefferie traditionnelle.
De la définition de la chefferie traditionnelle
A l’entame de son exposé le Professeur Nassirou Arifari-Bako fait savoir que lorsqu’on parle de chefferie traditionnelle, on a l’idée d’une projection par rapport à quelque chose qui semble ne pas relever du contemporain. En d’autres termes, le concept désigne « l’antithèse de la modernité, l’antithèse de tout ce qui, en termes de gouvernance renvoie à des idées rétrogrades » a-t-il insisté. Dès lors la chefferie traditionnelle est perçue comme un obstacle au développement, à la modernisation, aux transformations positives de la société.
Cependant, quand nous situons le débat au niveau de la construction de l’Etat, la question de la chefferie traditionnelle renvoie à la problématique de la représentation locale de la puissance publique et en même temps celle de la représentation des populations locales au niveau de l’Etat central.
Pour le Docteur Nangbè, qui dit « chefferie traditionnelle au Bénin dit royaume ». Et qui dit royaume fédère « Vodunnon, Bokonon, guérisseurs, chefs de terre… », a souligné le professeur A. Benon-Mora, car chefferie traditionnelle signifiait pouvoir, légitimité et sacralité à l’époque précoloniale.
Dans la suite de son intervention, le député Arifari-Bako a établi en cinq typologies, les différentes politiques gouvernementales postcoloniales vis-à-vis de la chefferie. L’énumération se présente ainsi qui suit : « une stratégie gouvernementale de l’exclusion » ; une « politique d’intégration systématique dans l’administration avec autorité » ; une « politique d’association » dans laquelle ils n’ont pas d’attribution claire mais qui leur confère une position de type consultatif notamment en matière foncière ; une « politique d’adaptation et de réinterprétation » qui fonctionne comme la continuation de l’auxiliarisation (les titres maintenus, mais avec un nouveau contenu) ; et enfin, l’ « existence comme un épiphénomène politique ».
Vers la création d’un cadre institutionnel des chefferies traditionnelles
D’entrée de jeu, il faut reconnaître les avancées liées à la chefferie traditionnelle au Bénin. Autrefois gardien du pouvoir politico-religieux, les autorités coutumières ont très vite vu leur pouvoir hypothéqué par le colonisateur. Dès lors, le problème de leur statut social, de leur place et de leur réhabilitation va se poser et se pose encore depuis les indépendances à ce jour. Fort heureusement, l’Etat béninois, dans la révision de sa constitution en date du 1er novembre 2019 a officiellement reconnu la chefferie traditionnelle comme gardienne des us et coutumes. Dans les mois à venir, c’est le décret portant attribution et organisation de la chefferie traditionnelle qui est attendu de nos honorables députés afin de statuer sur le profil de nos chefs traditionnels.
Profil des chefs traditionnels au Bénin
Comment devient-on chef traditionnel hier et comment le devenir aujourd’hui ? Voilà aussi une grosse préoccupation à laquelle le décret attendu du législateur doit répondre. En effet, selon un article du texte en préparation à l’assemblée nationale, les rois ou chefs traditionnels appuient les autorités politico-administratives sur leur territoire respectif. Une disposition de ladite loi stipulerait même que ces rois ou chefs traditionnels peuvent être sanctionnés en cas de dérives. Ce qui alimente encore plus la polémique autour du débat « Assisterons-nous désormais à des situations où un roi sera déchu ou emprisonné ? » s’interroge le Professeur Florentin Nangbè.
A l’occasion, le Professeur Jérôme Alladayè, assis dans le public, s’est empressé de formuler un vœu. L’historien des religions a souhaité que le gouvernement et les législateurs associent les experts, « les vrais », à cette réforme pour ne pas ajouter de la confusion à la confusion. Puisque pour légiférer au Bénin, nous avons tendance à recopier les dispositions des pays occidentaux sans aller vers les populations concernées elles-mêmes.
Une chose est sûre « la chefferie traditionnelle existera », rassure Arifari-Bako. Cependant, « elle sera toujours dépendante des autorités politico-administratives », poursuit-il avant de mettre l’accent sur le danger de « dédoublement fonctionnel (elle représentera à la fois la puissance publique et les populations) ». Par ailleurs, la chefferie étant déjà perçue comme « l’antithèse de la modernité », l’adjectif « traditionnel » qui l’accompagne est « péjoratif et quelque peu folklorique » selon le député. Ce qui, souvent dénote de l’impuissance du français à exprimer clairement les réalités typiquement béninoises. La résolution4 dudit colloque s’est d’ailleurs statuée sur la question La règle retenue consiste donc à « Constituer les mots en langues nationales, en concepts à conquérir, là où les mots en français sont impuissants à traduire les faits historiques béninois et africains ».
La chefferie traditionnelle constitue un pan important de l’histoire du Bénin. En arriver à une constitutionnalisation de cette institution coutumière est une reconnaissance politique de notre patrimoine car, nos rois sont les garants de nos us et coutumes.