Plusieurs dizaines de migrants africains ont protesté ce mardi 28 juin devant le bureau du Haut commissariat pour les réfugiés de l’ONU à Rabat, au Maroc. Ils dénoncent en effet le traitement inhumain que leur infligent les forces de l’ordre marocaines. Cela fait suite au drame qui a eu lieu à Melilla vendredi dernier où au moins 23 migrants subsahariens ont péri dans des affrontements avec les policiers en voulant traverser la frontière.
C’est la première fois que les migrants ont tenté une incursion aussi collective en force et violente. Près de 2 000 migrants ont en effet essayé de pénétrer dans Melilla, l’une des deux enclaves espagnoles au Maroc. Ils étaient armés de bâtons, de barres de fer, de pierres ce vendredi 24 juin, se lançant contre les barrières métalliques de la frontière de l’enclave espagnole de Melilla, hautes de six mètres par endroits. La réplique des forces de sécurité marocaines a été spontanée : gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc, coups de matraque, tout y était pour imposer l’ordre. Les heurts ont éclaté. Bilan, au moins 23 migrants, majoritairement soudanais, ont péri et 140 policiers ont été blessés, selon les autorités marocaines.
Protestations des migrants à Rabat

Face à ce résultat aussi sanglant, des migrants ont manifesté ce mardi contre le traitement inhumain dont ils font objet de la part des agents de sécurité marocaine. « Nous sommes allés dans la ville de Nador et ils nous ont violemment battus. Ils ont tué nos amis et notre famille. Le gouvernement marocain a dit qu’il y avait 23 morts, mais nous savons qu’il y en a plus de 70, c’est inhumain. Nous demandons qu’il n’y ait pas de discrimination entre les migrants », explique Omar, migrant soudanais, rapporté par Africanews.
Et d’ajouter : « Certains incidents n’ont pas été filmés, il y a beaucoup de morts parmi nous et actuellement, beaucoup de jeunes sont en prison, et plusieurs autres blessés graves. Nous demandons aux associations des droits de l’homme d’intervenir pour soigner les blessés, et en même temps nous leur demandons de nous évacuer immédiatement vers des pays sûrs, car nous ne nous sentons pas en sécurité ici ».
L’ONU et l’Union Africaine réagissent
Au regard de la gravité des faits, plusieurs organisations à l’instar de l’ONU dénonce «un usage excessif de la force » contre des migrants. «C’est inacceptable» et ce drame «doit faire l’objet d’une enquête», a affirmé le porte-parole de l’ONU, Stéphane Dujarric ce mardi 28 juin lors de son point-presse quotidien. Il précise que le recours excessif à la force a été vu par l’Organisation «des deux côtés de la frontière».
«Je veux dire à quel point nous avons été choqués par les images de la violence vue à la frontière entre le Maroc et l’Espagne en Afrique du Nord ce week-end et qui a entraîné la mort de dizaines d’êtres humains, demandeurs d’asile, migrants», dit-il. Aussi a-t-il insisté : «Les personnes qui migrent ont des droits humains et ceux-ci doivent être respectés et nous les voyons trop souvent bafoués». En conséquence, l’ONU appelle les deux pays à garantir la tenue « d’une enquête efficace et indépendante ».
Par ailleurs, le chef de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, dénonce « le traitement violent et dégradant de migrants africains » et réclame une enquête. Cette demande a été aussi appuyée au Maroc par l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH) qui exige une enquête « sérieuse et transparente afin de déterminer les circonstances de ce bilan très lourd » qui démontre que « les politiques migratoires suivies sont mortelles avec des frontières et des barrières qui tuent ».
Le plus meurtrier des bilans
Même si ce n’est pas la première fois que des migrants subsahariens essaient de traverser la frontière de Melilla, c’est malheureusement la première fois que de tel passage en force enregistre un record aussi élevé de morts. En mars dernier, il y avait déjà eu plusieurs essais de passage, où quelque 500 migrants étaient parvenus à traverser la frontière sur un total de 2 500. Alors que dans la nuit du 16 au 17 mai 2021, environ 8 000 à 9 000 migrants subsahariens ont passé la frontière entre le Maroc et Ceuta. Ils y sont parvenus par la nage ou la marche avec tout les risques y afférents. Bilan : il y avait eu au moins deux morts.
Les relations Rabat-Madrid normalisées
Et si les forces de l’ordre marocaines aujourd’hui travaillent avec autant de zèle, c’est parce que Rabat et Madrid ont réussi à normaliser leur relation mi-mars dernier après une année de brouille diplomatique. Le Maroc et l’Espagne ont rouvert leurs frontières et repris leur coopération suite à un malentendu qui a éclaté au lendemain de l’accueil en Espagne du chef des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, Brahim Ghali, en avril 2021, pour y être soigné du Covid-19.
D’ailleurs, le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, a très tôt salué ce week-end le travail de la gendarmerie marocaine en dénonçant une « attaque contre l’intégrité territoriale » de l’Espagne. « La gendarmerie marocaine avait travaillé en coordination avec les forces de sécurité (espagnoles) pour repousser cet assaut si violent dont nous avons été témoins ». « S’il y a un responsable de tout ce qui s’est produit à la frontière, ce sont les mafias qui se livrent au trafic d’êtres humains », a-t-il ajouté. On eût dit que ce drame est le symbole de la politique d’externalisation des frontières.